Licenciement, rupture conventionnelle: comment bien négocier son départ de l’entreprise en évitant la case procès

  • Rupture Conventionnelle
  • 01 Février 2022
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Licenciement, burn-out, conflits d’équipe mais aussi aspiration pour un nouveau métier, déménagement ou envie d’une meilleure conciliation des temps de vie poussent nombre de cadres à claquer la porte de leur entreprise. Contrairement à une idée reçue, qu’il soit subi ou choisi, ce départ est presque toujours négociable.

Rompue à l’exercice des fusions-acquisitions, Marianne* n’est pas du genre à faire l’autruche quand il s’agit de monter au front pour défendre ses intérêts et ceux de ses clients. C’est pourquoi, après une énième réorganisation de son groupe, sentant le vent tourner en sa défaveur, elle n’a pas hésité à toquer à la porte de son chef pour lui proposer un deal: elle boucle ses gros dossiers puis s’en ira, contre un chèque. Nous sommes au début de l’année 2019, la quadra est impatiente d’en finir et plutôt confiante, car les parties se sont mises d’accord pour négocier de bonne foi. Mais les mois défilent, et rien ne bouge. Pire, les relations avec sa hiérarchie se détériorent. “Je travaillais alors comme une dingue, se souvient-elle. J’ai commencé à relever mes mails, ai pris conseil auprès d’un avocat. La situation s’enlisait. J'étais pleine d'amertume.” Comme elle, beaucoup de cadres sur le départ font l’erreur de considérer pour seule porte de sortie celle du bras de fer juridique ou du marchandage. “Or, la plupart du temps, ils peuvent utiliser d’autres leviers sans instaurer un climat conflictuel, et ce, que leur départ soit voulu ou contraint”, maintient Mikaella Amar, experte en négociation stratégique et dirigeante du cabinet Mikaella Amar Consulting, qui a notamment accompagné Marianne. “Évidemment, si vous avez volé dans la caisse, inutile de chercher à négocier quoi que ce soit”, prévient Thierry Krief, fondateur de NegoAndCo, cabinet spécialisé en négociation sociale.

Leur recommandation: “mettre en place une stratégie d’influence pour faire en sorte que l’autre rejoigne notre parti en maximisant le package financier tout en levant toutes les barrières contractuelles”, résume Mikaella Amar. Avec pour avantages non négligeables de se donner les meilleures chances pour rebondir ensuite tout en préservant son image à l’extérieur.

Analyser le contexte

Une promesse qui fait "rêver", d'autant plus dans ce contexte de crise, mais qui n’est pas si simple à atteindre: chaque situation est unique et suppose l’élaboration d’un plan d’actions spécifique qui prend du temps, trois à six mois en moyenne. Si les leviers sont nombreux en la matière (voir encadré ci-dessous), la méthode reste sensiblement la même. Première étape incontournable et cruciale pour la suite de ce processus: l’analyse du contexte. “Il faut commencer par étudier la situation de l’entreprise (santé économique, stratégie, concurrence, enjeux sociaux...) et décrypter le jeu des acteurs en interne, notamment en épluchant l’organigramme”, conseille Mikaella Amar. L’objectif est double selon elle: identifier les interlocuteurs qui auront intérêt à ce que vous partiez -ou seraient gênés si vous représentiez un problème- et déterminer leur talon d’Achille (plan de carrière, fraude au chômage partiel, gros contrat à venir...) pour les rallier à votre cause. “Cette phase d’analyse, c’est 70% de la réussite, insiste Thierry Krief. Elle va vous permettre de créer les conditions pour que votre hiérarchie comprenne qu’elle a un intérêt à s'asseoir à la table des négociations, mais aussi vous assurer d’obtenir le maximum de ce qu’elle est prête à donner pour votre départ.”

“Inverser la pression”

Une fois le diagnostic posé, place à la tactique. Plutôt que de se focaliser sur ce que vous attendez de votre employeur (une rupture conventionnelle, le financement d’une formation longue…) “la question à se poser en priorité est la suivante: ‘pourquoi telle personne me dirait-elle oui?’, conseille Thierry Krief. A vous ensuite de dérouler la pelote à l’envers en allant voir Mme X. qui ira plaider votre cause à M. Y, qui vous permettra d’atteindre M. Z qui acceptera de discuter”.

Dans le cas de Marianne, cette phase d’analyse a permis de déterminer qu’il fallait négocier en direct avec son N+1 en appuyant là où ça fait mal: sa peur irrationnelle d’écorner son image en interne et son manque de courage. “J’ai profité d’une réunion de revue de mes dossiers pour inverser la pression. Heureusement, j’avais appris mon pitch par cœur pour ne pas être dans l’émotion et j’ai réussi à placer les mots qui touchent au bon moment. Il a enfin compris qu’il fallait me prendre au sérieux et que je n’hésiterais pas mettre en œuvre des actions qui l’impacteraient directement." La réponse ne se fait pas attendre: “il est tout de suite allé voir mon N+2 et la DRH qui sont revenus vers moi avec une première proposition, le minimum légal”. “La clé de ce travail de réseau, c’est la préparation. Vous êtes bon et percutant seulement lorsque vous arrivez serein sur les messages que vous voulez faire passer et que vous avez anticipé la réaction et les contre-arguments qu’on peut vous opposer en face”, souligne Mikaella Amar qui reconnaît que “toute la difficulté est de parvenir à rationaliser ses émotions et à ajuster sa posture, car souvent on éprouve un attachement particulier à son travail ou à ses collègues”. D’autant que l’employeur peut en jouer et “recourir à des stratégies d’intimidation”, pointe Thierry Krief.

“On peut tout négocier”

Dès lors que vous êtes parvenu à convaincre votre hiérarchie de discuter avec vous, l’étape de la négociation pure et dure (montant de l’indemnité, transaction supplémentaire éventuelle, préavis, rupture conventionnelle…) n’est finalement ni la plus chronophage, ni la plus sensible. Outplacement, aide à la reconversion, financement d’une formation longue, accompagnement sur un projet de création d’entreprise, matériel professionnel, réaménagement de la clause de non concurrence… “On peut tout négocier”, affirme Mikaella Amar qui ajoute: “Il est tout à fait possible de maximiser le package bien au-delà des barèmes Macron, dès lors qu’on démontre d’un point de vue factuel un préjudice moral, conjoncturel ou encore professionnel. On peut par exemple tirer parti du fait qu’on est une femme cadre sup de plus de 50 ans qui va voir ses indemnités chômage chuter au bout du septième mois car elle gagnait très bien sa vie et qu’elle devrait mettre entre 12 et 18 mois à retrouver un emploi selon les estimations du ministère du Travail. Sans fondement juridique, ces arguments pèsent dans la négociation” C’est la technique qu’a utilisée Marianne pour faire monter les enchères lors de son départ. Après quelques nouvelles séances de négociation, le groupe a nettement amélioré sa proposition et deux mois plus tard, il a proposé un deal enfin acceptable pour Marianne. “J’ai repris confiance en moi et j’estime avoir obtenu réparation”, juge celle qui ne regrette absolument pas d’avoir réalisé cette démarche et a depuis rebondi dans une autre entreprise.

Si l’on peut tout négocier sur le papier, attention néanmoins à respecter quelques règles de bases. “Négocier ne veut pas dire marchander ou faire du chantage”, insiste Mikaella Amar. “L’erreur est souvent de considérer l’entreprise comme un égal lors de ces négociations en avançant des arguments purement rationnels d’adulte à adulte, remarque Thierry Krief. Or, l’une des meilleures postures du négociateur est de créer un rapport enfant/parent. Autrement dit, de faire appel au parent tapi au fond de son chef ou de son DRH, en jouant le maladroit qui tâtonne et pose des questions pour se rassurer, un peu comme le fait le détective Colombo. Cela oblige l’autre à endosser une posture de protection et à dévoiler son jeu.” Le tout en gardant toujours ses nerfs quoi qu’il arrive. “Il n’y a rien de plus dur que de négocier avec quelqu’un qui garde son calme”, conclut le coach.

Les 7 leviers d’une stratégie d'influence

Thierry Krief identifie sept leviers pour poser son diagnostic et appuyer son “jeu d’influence”:

1. La culture d’entreprise: rites, histoire, biais culturels selon que l’entreprise soit américaine, allemande…

2. La conjoncture économique: état du marché, concurrence…

3. La sociologie de l’organisation: structures de pouvoir, fonctionnement des services…

4. La psychologie des acteurs: personnalité, comportements…

5. Le contexte temporel: jeux de pouvoirs, convoitises internes pour tel ou tel poste, conflits sociaux, rachat en cours…

6. Les outils juridiques: fraude au chômage partiel, dénonciation du forfait jours, droit à la déconnexion, barèmes Macron…

7. L’éthique: bien-être au travail, valeurs de l’entreprise, raison d’être…

 

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